L’histoire d’Olivier,

44 ans, consultant et chef d’entreprise

Olivier* a 44 ans depuis 9 jours. 44 ans d’une vie tempétueuse, peut-être tumultueuse, mais 44 ans d’une vie finalement heureuse. Son père ? Un sombre connard, certes, qui avait un fâcheux goût pour les ceintures en cuir et les « schlaks » qu’elles pouvaient produire en frappant son dos. « Je l‘emmerde ce con ». Même petit, son esprit libre, un brin rebelle, l’avait empêché de se taire face à cette violence. Et malgré les douleurs, le mal fait, les coups, le manque d’un vrai père, il avait pu « exorciser » ces épisodes. Il s’était accroché à sa liberté comme à une bouée, et celle-ci s’était montrée digne de confiance et l’avait emmené là où il était aujourd’hui. Heureux, amoureux, marié à Samuel depuis 2 ans, chef d’entreprise prospère et libre !

Ce midi, avec sa plus proche collaboratrice, ils décident d’aller déjeuner dans leur « cantine », le petit restaurant juste dans la rue derrière l’immeuble. Une fois à l’intérieur, ils se faufilent entre les tables pour atteindre la leur quand Olivier s’arrête, reconnaissant Anne, une ancienne collègue devenue coach.

  • « Hello Anne ! ».

Anne, attablée avec une autre personne lève la tête. Son visage s’ouvre quand elle le reconnaît.

  • « Salut Olivier, comment tu vas ? Quelle surprise, ça fait un moment ! »

Olivier pensait justement à Anne le mois dernier en se disant qu’il ferait bien de l’appeler. Pas de sujets en particulier et en même temps, pouvoir discuter des questionnements pro, mêlés parfois au perso lui apporterait sans doute un peu de recul et lui permettrait de donner encore plus de souffle à son activité. Et aussi, il aimerait bien acquérir quelques compétences de coaching pour ses interventions clients.

S’engage un bref échange à l’issue duquel Olivier convient qu’il appellera Anne pour parler d’un projet.

 

La quête du ‘temps long’

 

Olivier appelle Anne quelques jours plus tard et ils fixent RDV pour le mardi suivant.

Le jour du rendez-vous, Olivier lui expose son projet. Du coaching, certes, de l’accompagnement à son poste de chef d’entreprise mais aussi sa volonté de se former en même temps.

  • « Ok, je comprends. Je te propose qu’on se fasse des séances de deux heures du coup : 1 heure 30 de coaching + ½ heure de formation à chaque fois. Pour la partie de coaching, tu choisis un sujet qui te tiens à cœur mais qui n’est pas non plus celui de ta vie, de façon à pouvoir prendre assez facilement le recul nécessaire à l’aspect formation. »
  • « Je vois, réponds Olivier. Il prend une minute pour réfléchir : Alors voilà mon sujet : j’aimerais passer en temps long »
  • « Ok… Comment tu définis le « temps long » ? »
  • « Bah tu vois, je me suis marié il y a 2 ans. Bon, ça se voit clairement à mon physique, j’aime manger, bien vivre, la bonne chaire mais j’ai l’impression d’hypothéquer la vie de Samuel en continuant à agir comme cela. Je mets probablement en jeu ma santé. Il a quelques années de moins que moi et même si moi, ça ne me dérange pas de mourir un peu jeune après avoir eu une belle vie, je me dis que ce serait bien quand même, maintenant que je suis marié, de prendre aussi en compte cet aspect-là. Tu vois je réagis toujours à ce qu’il se passe, mais bon, je ne suis pas dans le temps long, tu vois ? »

Si Anne comprend un peu la nature de l’enjeu, elle préfèrerait néanmoins qu’Olivier puisse l’exprimer clairement. Un bon coaching commence par un bon objectif, énoncé par le coaché lui-même.

  • « Pas sûre. Quand tu seras « dans le temps long », comment ce sera ? A quoi tu le sauras ?

Et Olivier de continuer à exposer cette vie « dans le temps long ». Anne l’écoute attentivement, comprend, toujours sans vraiment comprendre. Laisse émerger les émotions qui se manifestent en elle et en lui, lorsqu’Olivier parle. Confusion, brouillard et un autre truc, un peu morne, qu’elle ne sait pas définir encore à ce stade.

  • « Et ce temps long, qu’est-ce que cela va apporter d’important ? Qu’est-ce que cela va venir nourrir en toi ? », demande-t-elle.
  • Bah, tu vois, c’est bien, je trouve quand même de vivre en bonne santé, d’être plus raisonnable, dans le temps long, c’est bien…

 

Début du coaching – rencontre avec le Gérard intérieur

 

Lors du premier entretien, Olivier explique de nouveau ce concept du « temps long ». Toujours ce même sentiment morne diffus chez Anne. Ce qu’elle comprend de façon très nette, c’est qu’une partie d’Olivier aime vivre pleinement et une autre partie en lui souhaite… autre chose, le « temps long », se faire coacher peut-être aussi. Anne est coach. Cela signifie qu’elle travaille avec son savoir et son savoir-faire, sa capacité à questionner, ses intuitions et également ses propres émotions générées par les échanges. Et là… toujours rien. Et surtout, lorsqu’Olivier en parle, son œil s’éteint, son enthousiasme s’éteint, son « lui », peut-être même, s’éteint. Allons du côté de cette impulsivité :

  • « Et si tu devais nommer cette partie en toi qui te pousse à manger, boire, faire la fête, comment tu l’appellerais ? »
  • « Oh, bah tu vois, c’est comme Gérard Depardieu, tu vois, C’est Gérard ! » s’exalte-t-il.
  • Et Gérard, qu’est-ce qu’il veut de bien pour toi ?
  • De la fête, du plaisir, que je vive, tout ça, oui. Du plaisir !
  • Ok, super ! Et cette autre partie de toi, celle qui veut le « temps long », qui veut que tu maigrisses, elle s’appellerait comment ?
  • Bah tu vois, elle veut mon bien, que je reste en bonne santé longtemps, c’est bien je trouve…

La réponse d’Olivier s’éternise, tourne en boucle, mais évite la question posée. Elle n’a pas de nom, comme si c’était une coquille vide, un fantôme ou extérieur à lui. Toujours cet œil éteint, ce ton morne et de fait pour Anne ce même sentiment d’ennui lorsqu’il en parle. Pas étonnant à ce stade qu’il ne maigrisse pas et ne passe pas en temps long. Qu’est-ce que son cerveau, son corps, son être irait faire du côté de la « morne-attitude » ? Personne ne passerait de la fête à tout crin à un ennui mortel. Le cerveau est assez fin pour ne pas faire cette erreur.

Ceci dit, ce sujet du temps long, objectivement, lui tient à cœur. Anne ne l’ignore pas. Olivier a deux parties en lui : l’une a l’air « fun » et rend sa vie joyeuse et l’autre, pour le moment, lui fait prendre un air docte et ennuyeux. Elle sonne comme la voix de la raison mais ne donne pas envie. Elle n’a pas de nom, comme si cela lui évitait ou l’empêchait d’exister pleinement. Et elle assez importante pour qu’Olivier se rende toutes les deux semaines à ses rendez-vous de coaching et qu’il les paye. Elle lui tient à cœur. Mais quelle est alors cette motivation profonde qui n’arrive pas à s’exprimer ? Et qui l’en empêche… sinon son Gérard intérieur ?

 

 

L’intuition d’Anne – Rencontre du ‘Petit Olivier’

 

A ce stade du coaching, une intuition, une hypothèse émerge chez Anne : le « Gérard » priverait d’expression cette autre partie d’Olivier qui ne peut alors s’exprimer que sur le mode de la « raison raisonnable ». Gérard a toutes les raisons de vouloir faire taire cette autre partie, il en va a priori de sa survie à « lui » en quelque sorte. Passer en temps long priverait Gérard de sa raison d’être. l’ici et maintenant. Quid de l’impulsivité et de la fête dans le temps long ? « Gérard » a peur et éloigne alors le danger de la conscience et du mode d’action/réflexion d’Olivier. L’intention est louable de la part de Gérard, qui ne cherche au fond que le bien d’Olivier. L’effet collatéral cependant est net : une partie d’Olivier doit se taire et ne peut exister, une tension interne se crée. En exerçant sa liberté absolue « Gérard » prive une partie d’Olivier d’existence propre et prive également Olivier d’un mode de vie peut-être encore plus riche. En tout état de cause, Gérard oblige Olivier à vivre selon son mode impulsif, fêtard et exubérant, sans d’autre choix possible, il le prive à minima de sa liberté de choix. Priver de liberté… ? Voilà peut-être de quoi faire réagir notre coaché, pense Anne. C’est cette liberté qu’Olivier a toujours exercée, même face à un père violent. Anne s’ouvre à Olivier sur cette hypothèse.

A cet instant, l’œil d’Olivier s’allume. Touché !

L’échange s’amorce autour de ce mécanisme. Il s’agit de laisser émerger cette partie privée de liberté, tout en y intégrant la volonté de « Gérard ». Le temps long, oui, mais lorsqu’il est décidé, la fête ne doit pas disparaître. Gérard doit bien reconnaître que priver Olivier de liberté n’est pas quelque chose dont il avait l’intention, c’est même tout l’inverse. La sacro-sainte liberté d’Olivier et de son « Gérard » n’a pas à être entamée par l’un d’eux. Alors il laisse émerger cette autre partie, rassuré par le fait qu’elle ne cherchera pas à le faire disparaître. La dictature de Gérard va laisser la place à un Olivier plus intégré, plus complet et plus libre.

Au long du coaching, cette partie jusque là docte et morne apparaît, se dessine, prend forme, et surtout prend vie et sourire. Le « petit Olivier », garant de sa liberté et des sujets existentiels d’Olivier. « Gérard » expansif, joyeux, impulsif, exubérant, « Petit Olivier » plus réservé, réfléchi. Les deux sont Olivier. En faire taire un, c’est faire taire une partie d’Olivier. L’association n’est pas évidente, bancale tout d’abord. Mais l’équilibre entre les deux modes de fonctionnement semble se dessiner progressivement. Olivier en ressent les effets, dans son travail quotidien, les décisions qu’il se sent désormais capables de prendre dans son travail, qui l’engagent sur du plus long terme, qui engagent surtout son énergie de façon plus durable dans le temps. Pas juste une action « coup de poing » par ci par là. Il avance. Progressivement.

Progressivement, peut-être un peu trop, et jusqu’à stagner. Quelques temps plus tard et à l’occasion d’un nouveau rendez-vous, Olivier expose à sa coach toutes ses réussites récentes, sa profusion d’idées nouvelles, sa panoplie de chantiers en cours, son excitation quant au potentiel de ces sujets, son enthousiasme. Il est content, excité, heureux et en ébullition.

  • « Gérard est de retour, t’as vu ! », lui lance-t-il à la cantonade.

Olivier souhaite d’ailleurs être en mesure, avant son interruption estivale, de faire le point sur l’ensemble de ses chantiers en cours, d’en établir les enjeux, les priorités, les potentiels de développement. Pour pouvoir reprendre facilement à la rentrée.

  • « Qu’est-ce que cela va apporter de faire ce point ? », lui demande sa coach.
  • « Bah tu vois, c’est bien quand même, parce qu’après je pars tranquillement en vacances, et je reprends bien aussi, tu vois, c’est bien de faire ça. »

La rupture d’ambiance est nette : le ton est docte, l’œil est éteint… Oui, bien sûr que c’est « bien » de préparer sa rentrée, c’est ce qu’on a toujours appris à l’école. Mais c’est encore mieux si c’est dans le plaisir, dans l’enthousiasme, la motivation, dans l’énergie positive de « Gérard » en quelque sorte, parce qu’alors Olivier pourra déployer toutes ses ressources. Et surtout, s’il en a envie, il est sûr de s’y mettre et d’en tirer le maximum. Et si cela pouvait être autre chose qu’un exercice qu’Olivier qualifie lui-même de scolaire ? Et si cette action, s’adaptait à son mode de fonctionnement optimal ?

  • « … Tu sens, là, que tu reprends le même ton docte et ennuyeux que lors de notre travail sur le « temps long » ? »
  • « Oui, c’est vrai, tu as raison, je reconnais cette petite musique intérieure »
  • « Tu peux y aller aux forceps, sur cette action, et tu la feras… peut-être …ou pas avant les vacances… ou pas. Fondamentalement, ton cerveau n’est pas fou, il n’a pas envie de s’ennuyer. Alors, cette fois, il la fera, ou pas, mais tu n’as aucune certitude et ce ne sera pas avec envie. Comment cela pourrait-il se passer autrement ? »
  • « Je ne sais pas trop »
  • « Et si tu ne la fais pas ? »
  • « pffff… reprendre en septembre avec ça à faire… c’est déjà tellement compliqué la reprise… »
  • « J’ai l’impression que c’est le « Petit Olivier » qui cherche à gérer ce dossier, je me trompe ? »
  • « Non, c’est vrai »
  • « Le Petit Olivier, il est super fort pour faire émerger les sujets importants pour toi, j’ai l’impression, mais pas forcément pour les traiter, en tout cas pas tout seul »
  • « … ? »
  • « Gérard, il en dit quoi de ce dossier ? »
  • « Je ne sais pas »
  • « Est-ce que le Petit Olivier veut bien lui laisser regarder le dossier ? »
  • « Oui … ? »

Un ange passe

  • « Comment Gérard voit les choses ? En quoi ce dossier est-il important de son point de vue ? »
  • « Il y voit aussi l’intérêt de faire le lien entre tous ces sujets pour voir sur quoi, moi, je dois me développer aussi, ça ce serait pas mal »

La lumière se rallume dans les yeux d’Olivier.

  • « Oui ? », lui envoie sa coach.
  • « Oui, ça lui donne plein d’idées, en fait ! »
  • « Mais encore ? »
  • « En fait, ce point, ça doit servir à plus que ça. C’est faire un point, c’est sûr, mais en mettant un état des lieux des chantiers les uns à côté des autres, ça doit me permettre aussi de dégager des leviers communs d’action, et aussi des pistes d’amélioration et de formation pour moi, pour la prochaine année », poursuit-il avec enthousiasme.

L’échange continue encore un peu. Puis finalement :

  • « Olivier, là tout de suite, comment tu te sens ? », lui demande Anne
  • « J’ai même pas les mots, reboosté, à bloc ! Energisé ! Je vais directement aller m’acheter un carnet pour noter mes idées concernant les chantiers mais aussi les leviers d’amélioration »

L’échange se termine. Olivier repart redynamisé, avec un plan d’action concret, et de l’envie. Le véritable gain de cette séance de coaching réside dans ce début de coopération opérationnelle entre le « Gérard » et le « Petit Olivier ».

*Son prénom a évidemment été modifié pour mon récit.