Réflexion : « Et son père là-dedans ? »

De la limite entre psychothérapie et coaching

Dans l’histoire de l’accompagnement d’Olivier, son père maltraitant est évoqué au début et durant le coaching, mais sans qu’il ne joue à aucun moment un rôle de premier plan dans la résolution de la question d’Olivier. A quoi bon alors ? Quid de son père dans cette histoire ? Pourquoi l’avoir mentionné ? Les histoires de parents, ça se traite que chez les psys, pas en coaching ? Et dans le fond, quelle différence entre thérapie et coaching ?

 

Une frontière floue

Cette question de la limite entre la thérapie et le coaching est souvent posée. Autant le dire tout de suite : la réponse n’est pas propre, nette et précise. Elle dépend de chacun : coachés, coachs, thérapeutes. Je vais donc vous donner ma réponse personnelle à cette question.

Il y a des critères objectifs qui permettent de classer clairement certains accompagnements ou sujets d’un côté ou de l’autre. Une personne qui veut progresser dans son rôle de manager, ou encore prendre une décision quant à sa vie professionnelle ou personnelle, ira plus naturellement rencontrer un coach. En revanche, lorsqu’une personne souhaite digérer sa relation conflictuelle avec sa mère, un lourd passé de harcèlement scolaire, ou soigner des traumatismes, le psy est alors tout indiqué.  Derrière ces exemples, un premier critère émerge concernant la nature du sujet et les type d’attentes associées :

  • La thérapie vise à soigner une souffrance : lorsqu’on arrive en thérapie, on a affaire à un thérapeute et son métier est de soigner. Il y a donc à l’origine une souffrance et une pathologie dont un attend une guérison ou un soulagement. De ce fait, la personne accompagnée s’appelle un patient.
  • Un coach accompagne son client à résoudre sa problématique ou son questionnement, et pas nécessairement un problème ou une souffrance. Le coaching est une démarche par objectif. Un contrat d’objectif est donc établi en début de processus et lors de chaque rendez-vous (même si le client n’en a pas toujours pleinement conscience).

Bien entendu, parmi un grand nombre de questionnements ou de problématiques que les clients viennent résoudre en coaching, il y a des problèmes, du mal-être et des souffrances. S’il s’agit de gagner en confiance en soi, vers qui la personne doit-elle se tourner ? La réponse n’est pas univoque. Et puis parfois, lors d’un coaching, le client se trouve bloqué par des souffrances qui ont germé dans son enfance et qui l’empêchent aujourd’hui d’atteindre ses objectifs.

Dans ces cas-ci, la limite entre les deux disciplines devient difficile à définir. Elle est alors fixée… par le praticien lui-même, en fonction de ses compétences, de ses sensibilités et de son confort à aborder et traiter de certains sujets. Elle est également fixée par le client ou patient qui sent son accompagnant apte à l’accompagner, ou non, sur tel ou tel sujet. Personnellement, je n’hésite pas à explorer les sujets thérapeutiques tant que je m’y sens « à l’aise ». J’ai d’ailleurs évolué au fil des années. Ma toute première cliente, Sabine*, était venue me voir suite à un violent burn-out déclenché par un patron pervers narcissique avéré qui avait poussé à bout la moitié de son service. Je n’étais alors qu’en cours de certification au coaching. Le contexte me semblait franchement compliqué pour ma maturité du moment mais Sabine me faisait confiance et mon collègue qui m’avait recommandée auprès de Sabine aussi. J’ai donc défini avec ma cliente un cadre de coaching bien strict, qui nous aille à toutes les deux : un objectif de coaching d’ordre professionnel (« tourner la page professionnelle et être prête à en réécrire une nouvelle »), je me suis assurée qu’elle serait suivie par un psychothérapeute par ailleurs, et je lui avais bien précisé que je n’étais pas moi-même thérapeute. A ces conditions, mon confort (et donc mon efficacité !) était assuré et ce premier coaching est devenu une très belle histoire : en quelques rendez-vous, elle a réussi à rebondir, décider, se mettre en action pour trouver un autre emploi. J’ai même pu l’accompagner jusqu’à sa prise de poste. Le cadre clairement posé a permis de mener un travail de coaching propre, utile et efficient.

Aujourd’hui, mes compétences et ma confiance ayant évolué, j’ose plus de choses qu’au début, tant que la sécurité de mon client est assurée. Cependant, dans un cas similaire, je pense que j’aurais posé le même cadre. Simplement, dans les faits, j’aurais peut-être plus exploré les blocages nés ou révélés par la situation de burnout afin de décupler le ressenti final, sa (re)prise de confiance, et son bien-être.

D’autres éléments de définition sont parfois mis en avant pour distinguer la psychothérapie du coaching, mais auxquels je ne souscris pas automatiquement.

  • La logique du « pourquoi » vs. celle du « comment »
    La thérapie chercherait la cause originelle du mal-être (le « pourquoi ») alors que le coaching se demanderait « comment » résoudre la problématique et atteindre l’objectif du client. Statistiquement, ce principe est vrai : pour dire les choses rapidement et de façon un peu grossière, les thérapies, majoritairement freudiennes (notamment en France) s’intéressent au pourquoi, et le coaching, plutôt issu d’autres approches, au « comment ». Maintenant, il existe des thérapies autres que freudiennes, qui pour beaucoup s’appuient sur les mêmes méthodes, approches et outils que le coaching (PNL, Gestalt, Analyse transactionnelle, etc). Inversement, il existe des coachings d’obédience freudienne.
    Par ailleurs, dans mon idée, le jour où je deviens thérapeute, je ne suis pas certaine de changer fondamentalement d’approche. La démarche par objectif et les questionnements que j’ai viendront servir la démarche de mes patients. J’aurai plus de connaissance et de compétences en termes de psychopathologie, de développement de l’enfant et de l’adolescent. De ce fait, mes grilles de lecture seront enrichies et mes questions aussi. Je pourrais également élargir mes diagnostics et repérer les « cas graves / pathologiques ». Mais ma philosophie du pourquoi et du comment n’auront probablement pas changés.

 

  • Durée et fréquence
    Généralement la thérapie est plus longue qu’un coaching, même s’il est à noter qu’il existe des thérapies brèves qui peuvent être très limitées dans le temps. Concernant le nombre de séances : il est généralement défini à l’avance dans un coaching (entre 4 et 20 séances), pas dans une thérapie. La fréquence : souvent hebdomadaire dans une thérapie, mais pas toujours, toutes les 2 semaines ou tous les mois dans un coaching. Vous l’aurez compris, il ne s’agit là que de règles générales, qui ne suffisent pas à donner une définition claire de cette limite entre thérapie et coaching. Certains de mes clients décident de continuer leur coaching après l’atteinte de leurs objectifs, comme une forme de supervision professionnelle (que je dois suivre moi-même dans mon métier), pour garder le recul nécessaire et enrichir leurs réflexions.

 

  • La place du passé dans le travail avec le praticien
    En thérapie, c’est souvent dans le passé que se situent les discussions : le traumatisme d’enfance, la relation aux parents en tant qu’enfant, etc. Et en coaching, on cherche à atteindre un objectif spécifique dans le futur. Le passé n’y aurait alors pas sa place. Et le futur n’aurait alors pas voix au chapitre dans une thérapie. C’est l’image d’Epinal.
    Ma position sur ce sujet est plus souple et pragmatique. Si un élément du passé bloque la réalisation d’un objectif futur, alors je n’hésite pas à rentrer dans ce sujet. Si mes compétences deviennent ici une limite, j’oriente mon client vers une personne pourra lui faire travailler ce point en particulier.
    Et si je suis complètement lucide, j’ai aussi beaucoup de mes clients qui viennent travailler avec moi sur un point professionnel mais résolvent de fait un point personnel lourd. Le coaching peut-être un premier pas vers la thérapie ou même produire des effets thérapeutiques. Parfois encore, le client venait officiellement régler une question professionnelle mais cherchait peut-être plus inconsciemment une réparation plus personnelle, plus liée à des situations passées non digérées émotionnellement.

 

  • La place du travail sur l’inconscient
    Ma position ici rejoint mon approche du paragraphe précédent. L’inconscient fait partie de la personne, et je travaille avec l’ensemble de la personne pour l’aider à atteindre son objectif. L’inconscient y a donc toute sa place

 

Une fois que tout cela est posé, nous n’avons toujours pas répondu à la question et posé une limité claire entre thérapie et coaching. Mais, au fond, est-ce grave ? Eh bien, je dirais : pas forcément. Tout d’abord, il est à noter que certaines approches sont utilisées à la fois en thérapie et en coaching.  Comme je l’ai dit plus haut, les outils et le questionnement peuvent être les mêmes, les protocoles aussi. En fait, psychothérapie et coaching ont quand même beaucoup de points communs, les passerelles entre l’un et l’autre sont légions :

  • Dans les deux cas il s’agit d’une relation d’aide et d’accompagnement des personnes dans leur développement personnel.
  • Un travail ne peut commencer qu’à partir d’une demande du patient ou du client
  • Les chartes éthiques sont proches : confidentialité, bienveillance, obligation de moyen et supervision des praticiens
  • Le succès des deux processus repose avant tout sur la qualité de la relation patient/client-praticien, ce que les thérapeutes appellent l’alliance thérapeutique.

 

Revenons sur le père d’Olivier…

Alors ici, dans l’histoire d’Olivier, cette histoire de père, qu’est-ce qu’on en fait ? En quoi est-ce encore du coaching et pas de la thérapie ?

La demande d’origine d’Olivier est bien de passer dans ce fameux « temps long ». La demande n’est pas de réparer ou soigner sa blessure d’enfant. Le sujet est bien un sujet de coaching. Son père, ou en tout cas, ce qu’Olivier a intérieurement gardé de son père, fait partie de ses processus de pensée, de ressentis, de décision, de sa vision du monde et de ses croyances. Alors oui, « il est là ». Mais l’enjeu est de permettre à Olivier de fonctionner plus efficacement, relativement à sa demande de passer en « temps long » ; et ce « père intérieur », s’il a bien un impact sur lui ici et probablement dans d’autres aspects de sa vie, l’idée n’est pas de le « soigner », ni de lui offrir une thérapie :

  • Ce n’est pas sa demande.
  • Son histoire avec son père et ce qu’il en a gardé ne sont pas bloquants dans la réalisation de son objectif, et même si cela influence sa vie, ce n’est pas pour autant bloquant ou traumatique.
  • Et si son histoire avec son père avait bloqué ce travail ? Si sa demande dans ce sens émerge, en quelques questionnements j’aurais pu jauger de ma capacité à l’accompagner sur ce volet-ci. Avec ma posture d’accompagnement, ma capacité d’écoute, la confiance et notre « alliance », les bonnes questions, une bonne compréhension de la situation et de mon client, je peux sans risque l’amener à exposer son sujet et savoir si je peux l’aider complètement, partiellement ou pas du tout. Au besoin, je n’hésite jamais à conseiller d’entamer un travail thérapeutique.

Je finirai sur la phrase que m’offerte, Sabine, ma toute première cliente, lorsque nous avons défini ensemble le cadre de son coaching. Je l’ai dit plus haut, elle était en burn-out, souhaitait se faire coacher malgré tout. Nous avions discuté de son besoin thérapeutique qui, du fait de procédures administratives compliquées et probablement de son manque d’envie de faire une thérapie, n’a commencé que plusieurs mois après. Je lui avais bien précisé que je n’étais pas thérapeute, ce à quoi elle avait répondu : « Je sais bien, et ça me va. En même temps le coaching aura des effets thérapeutiques. ». C’est là, la force de « l’alliance thérapeutique » entre tout accompagné et accompagnant, qu’il soit psy ou coach !

 

*Qu’il s’agisse d’Olivier, de Fanny ou de Sabine, les prénoms ont été changés 😊 !